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Petite histoire de l'apéro

Petite histoire de l'apéro

Le 27/05/2024

Cacahuètes, charcuteries et verres qui s’entrechoquent. Il y a toujours un bon prétexte à l’apéro. Petite histoire de ce moment social tendance, qui prend ses distances avec l’alcool.
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Getty Images / Flashpop

Cacahuètes, charcuteries et verres qui s’entrechoquent. Il y a toujours un bon prétexte à l’apéro. Petite histoire de ce moment social tendance, qui prend ses distances avec l’alcool.

Marie-Pierre Chavel

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

Avouez ! Les soirs d’été, entre amis, en famille, au calme dans votre jardin ou vociférant devant l’Euro 2024, vous vous laissez aller autour de chips, cacahuètes salées, saucissonnade et compagnie. Pas de panique, il n’y a rien de répréhensible à ça. Au contraire, ce temps suspendu a ses vertus, sous certaines conditions : éviter la junk food et, bien sûr, l’ébriété pour s’épargner des problèmes. Tout le monde le sait, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Il n’est de toute façon pas obligatoire pour passer de bons moments (si, si !), et aujourd’hui, prendre un apéro, ce n’est plus boire telle ou telle boisson prévue à cet effet. C’est, pour Sébastien Lafage, qui organise le Salon de l’Apéro depuis 2019 dans le Sud-Ouest, « un état d’esprit » et du temps passé avec ses proches. Avis partagé avec 90 % des Français, selon l’étude du Syndicat des apéritifs à croquer que Nelly Bonnet, sa secrétaire générale, résume ainsi : « L’apéritif est un moment de partage, une bulle de liberté, de lâcher-prise. »

Raison sociale

L’humain est un animal social. Il a besoin des autres pour survivre et s’épanouir. De nombreux scientifiques l’ont démontré, tels ces chercheurs de Harvard qui, après avoir suivi un panel d’individus pendant au moins soixante-quinze ans, ont pu affirmer que les relations régulières et agréables avec sa communauté (famille, amis, etc.) permettent d’être plus heureux et en meilleure santé que l’isolement. Est-ce pour cette raison que nous sommes autant attachés à l’apéro « social » ? La quasi-totalité des Français en organisent, au moins une fois par semaine pour 32 % d’entre eux. Confinez le pays trois mois, et voilà qu’on se réunit en visio pour garder le contact, faisant par la même occasion progresser le marché des apéritifs à croquer (biscuits, graines…), déjà en constante évolution dans la GMS d’une année sur l’autre, même en période de crise, nous dit Nelly Bonnet. L’apéro a ses rituels, son salon, ses produits bio, son dictionnaire, ses jeux de société, ses aficionados qui évoquent une « exception française », qui de plus est soutenue « à l’étranger par des programmes gouvernementaux », assure Nelly Bonnet. D’habitude, il est passé à tradition. Mais sa forme actuelle est relativement récente.

Dans l’Antiquité, Égyptiens, Grecs et Romains avaient coutume d’honorer leurs dieux avec des breuvages accompagnés d’une collation : olives, fruits secs, dattes, oignons, etc. Au Moyen Âge, pour aider la digestion, on prend avant les repas des boissons à base de plantes amères conservées dans du vin. Au XVIIIe siècle, ce type de potion est considéré comme un médicament connu sous le nom de… apéritif, du latin médical aperire qui signifie « ouvrir ». Non, pas les bouteilles ! Mais l’appétit, ou plutôt les voies qui permettent à l’organisme d’éliminer (les émonctoires), en l’occurrence les résidus du repas précédant pour faire de la place au suivant. « Un remède apéritif est alors un diurétique, un purgatif, un sudorifique, etc. », écrit Pierre Labrude, professeur honoraire de pharmacie à l’université de Lorraine, dans ses travaux sur ces boissons dites « hygiéniques », c’est-à-dire favorables à la santé.

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crédit photo : Bruno Panchèvre

Mettre en appétit

Le « principe actif » de ces médicaments est le goût amer des plantes. « Il déclenche des sécrétions gastriques et pancréatiques, et active la création d’enzymes digestives. Il enclenche aussi le processus de salivation, fondamental car la salive commence à dégrader les glucides dans la bouche », explique le naturopathe Benjamin Dupuis. Le cerveau comprend alors qu’on va manger. D’autres organes réagissent aussi, dont le pancréas et l’estomac qui sécrètent la ghréline, l’hormone de la sensation de faim. Les plantes amères (gentiane, quinquina, absinthe, romarin, etc.) seraient également cholérétiques (qui favorise la production de bile) et cholagogues (facilite l’évacuation de la bile) : elles seraient un soutien à la digestion et au nettoyage du système digestif avant et après le repas.

Au XIXe siècle, les apéritifs, alors monopole des pharmaciens, deviennent des boissons courantes, et même courues. Pour Pierre Labrude, ce changement de statut serait dû à une institution sanitaire publique qui en 1817 conseille de donner « aux moissonneurs » un vin de quinquina, « boisson fortifiante et antiputride » qui les aiderait à affronter une épidémie de choléra. Quelques années plus tard, Dubonnet (Dubo, Dubon, Dubonnet*) élabore un autre vin de quinquina, cette fois pour la Légion étrangère qui souffre de paludisme lors de la conquête de l’Algérie. Bref, l’habitude de boire un apéritif s’installe. Afin de les rendre plus agréables au goût, les fabricants y ajoutent du sucre… qui augmente le taux d’alcool. La passion pour ces boissons que les Français sirotent alors dans les cafés est telle que l’alcoolisme augmente dans la population. Inquiétude de l’État et de l’Église…

Vous reprendrez bien un peu de sel ?

À partir des années 1960 et la montée en confort des logements (avec salon et canapé), l’apéro se prend plutôt au domicile et devient régulièrement « dînatoire » : il fait office de repas. La consommation d’alcool est en baisse constante (Santé publique France). Manolo Souchard, barman et formateur à l’École de Paris des métiers de la table, constate que les consommateurs préfèrent aujourd’hui la qualité à la quantité, et les produits régionaux « qui font vivre les économies locales ». Au Salon de l’Apéro, les visiteurs viennent pour rencontrer les producteurs, chercher des conseils, des « bons » produits qui « épateront » leurs convives, raconte Sébastien Lafage. Dans l’édition de mars dernier, sur 55 exposants, seulement 15 proposaient des boissons. Le reste ? Des salaisons, fruits de mer, biscuits, tartinables… Du salé la plupart du temps, comme il se doit, bien qu’il ne semble pas y avoir de règle. Juste une tradition : c’est avec lui que généralement commence le repas. Peut-être parce qu’il active les papilles gustatives, augmente la production de salive et donc stimule l’appétit. Nous y revoilà ! Le sel stimule aussi la soif et serait parfois utilisé dans les bars et restaurants pour inciter les consommateurs à boire…

Getty Images / FilippoBacci

Droit dans les yeux

Les biscuits et autres préparations croquantes, les graines et les olives sont les collations préférées des Français. 50 % plébiscitent aussi le fait maison. Hors domicile, les jeunes aiment la finger food, ce qui se mange avec les doigts, comme les planches de charcuterie ou de fromage qu’ils se partagent. « Même des grands chefs se mettent à proposer des choses à partager, expose Sébastien Lafage. On n’a plus systématiquement chacun son assiette, on picore, on goûte à tout. » Autres tendances en 2024 ? Pour lui, c’est le végétal qui n’en finit pas de se développer via les tartinables notamment, les cocktails, les pétillants et les boissons peu ou pas alcoolisées. Pour le Syndicat des apéritifs à croquer, des recettes simplifiées qui répondent à la demande de produits plus sains, et ce qui est à base d’épices et d’aromates, des valeurs sûres.

Au fait, savez-vous d’où vient l’habitude de trinquer ? On entend souvent qu’elle serait issue du Moyen Âge où le geste aurait servi à mélanger les contenus et prouver qu’ils étaient sans poison. Mais la rumeur n’est pas fondée, rapporte l’historien Florent Quellier. En revanche, celle qui conseille de se regarder dans les yeux, si. Lorsqu’on « portait une santé », on se regardait franchement, sans dissimulation, partant du principe qu’on était désarmé et qu’il n’y aurait pas d’agression physique. Un temps pacifié, de confiance partagée… Alors, levons nos verres à notre santé, à celle de la planète et à ce que l’on fait pour les préserver.

Pour aller plus loin : 

En librairie
– Histoire de l’apéritif en France entre 1945 et 1980, David Laflamme, Éd. L’Harmattan

– Histoire de l’alimentation, de la préhistoire à nos jours, Florent Quellier, Éd. Belin 

 

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